Atelier éditorial Traverse. Cité des Arts, Besançon le 9 novembre 2018

Les quais du Doubs à Besançon. Crédit Hanus 2018

C’est dans le prestigieux édifice de la Cité des Arts de Besançon que l’équipe mobile de Traverse a posé ses valises le 9 novembre, à l’occasion d’un atelier éditorial orchestré par la Drac et la Région Bourgogne-Franche-Comté. Celui-ci a rassemblé des professionnels du patrimoine de différents organismes publics et associatif régionaux : CAUE, Région, Maison de l’Architecture Franche-Comté, Citadelle de Besançon, VAH Besançon, FRAC Besançon, Musée des maisons comtoises de Nancray, Association comtoise des amis des jardins, Petites cités comtoises de caractère, Renaissance du vieux Besançon, Musées, archives et patrimoine d’Arbois.

La Cité des Arts, avec en toile de fond la citadelle de Besançon. Source : http://www.besancon.fr/index.php?p=1706

La Cité des Arts de Besançon

La Cité des Arts ne peut laisser indifférent le visiteur : son site fait écho aux collines environnantes qui ceinturent la ville, au Doubs et à la vieille cité de Besançon. La conception de cette Cité des Arts a été confiée à l’architecte japonais Kengo Kuma, qui a imaginé un projet symbolisant « la rencontre de la nature et de la ville, des habitants avec les berges du fleuve et des publics avec les pratiques culturelles ».

Le Doubs vu depuis la Cité des Arts. Crédit David Dereani

 L’édifice est une œuvre d’art en soi, aux multiples jeux de lumières, de formes et de matières qui dialoguent avec l’espace urbain. Le site est dépositaire d’une part importante de l’histoire de la ville, car anciennement mur de fortification puis aménagement portuaire, les rives du Doubs ont toujours fait office de barrière de protection à cet endroit. Le projet de la Cité des Arts se veut un prolongement de toute cette histoire ; il perpétue cette notion de protection de la capitale comtoise se lisant comme une porte monumentale, à la fois objet unique et symbole de l’union de Besançon avec la rivière. A travers le bâtiment de la Cité des Arts, Kengo Kuma a su créer une architecture emblématique d’une nouvelle génération d’offres culturelles transdisciplinaires, ouvertes et rayonnantes.

La Cité des Arts. Source : https://structurae.info/ouvrages/cite-des-arts-et-de-la-culture-de-besancon

La journée de présentation du projet Traverse débute par un mot d’accueil de Pierre-Olivier Rousset, directeur du pôle Action Culturelle et Territoriale à la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bourgogne-Franche-Comté et de Martine Buissart, directrice de la fondation Facim à Chambéry (chef de file côté français du projet Traverse) qui insistent sur la nécessité de faire converger le regard des professionnels du patrimoine avec le monde du numérique, dans un esprit de partage de la connaissance au plus grand nombre.

Les quais du Doubs à Besançon. Crédit Hanus, novembre 2018

 Faire de la rupture patrimoine

C’est par cette mystérieuse formule que Noël Barbe, ethnologue à la DRAC Bourgogne-Franche-Comté / Institut interdisciplinaire d’anthropologie du Contemporain (Cnrs-Ehess)  ouvre son exposé, s’interrogeant à haute voix sur la possibilité de réinventer et sans doute de renommer ce qui s’énonce sous le nom de patrimoine. Il plaide en faveur d’une réévaluation de la notion de patrimoine, au regard des grands événements et enjeux de notre siècle (crises sociales, mutations du monde du travail, pollution et réchauffement climatique, impuissance et épuisement des systèmes politiques)… autant de ruptures qu’il s’agit de faire résonner avec le monde du patrimoine.  Il a ensuite abordé la question des rapports entre patrimoine et fin des monde sociaux et culturels à partir d’une série d’exemples empruntés à la région, de la Haute Saône au Morvan en passant par le Jura.  A propos de Besançon, haut lieu de la mémoire des « luttes ouvrières », faut-il patrimonialiser (et comment ?) l’expérience Lip (célèbre usine d’horlogerie autogérée quelque mois durant par ses propres salariés) ?

Mai 1976, les ouvrières de Lip à Besançon dans le Doubs. Crédit : Roger Viollet

Noël Barbe a également fait part de ses questionnements sur la patrimonialisation des expériences de la négativité de l’histoire : comment vivre dans un village meurtri par l’épreuve de la guerre, voire totalement détruit. Il propose également de réfléchir sur la question sociale à travers les destinées des enfants de l’Assistance publique. Pour ce faire il prend appui sur l’expérience du musée d’Alligny en Morvan, où bien des familles les ont accueillis et bien des femmes sont parties « nourrices sur lieu ». Dans ce petit village du Morvan se lisent deux siècles d’histoire locale mis en regard des évolutions de la société et de l’administration publique à l’échelle nationale.

Le site industriel en friche de la Rhodiaceta à Besançon. Crédit Hanus 2018

Dans un contexte de crise environnementale majeure, l’anthropologue poursuit son exposé en insistant sur la nécessité d’établir des liens entre patrimoine et capitalocène (certains scientifiques  préfèrent appeler ainsi cette nouvelle ère dans laquelle notre monde a basculé, parfois appelée également anthropocène,  comme la conséquence d’un système capitaliste irresponsable (systèmes-mondes techno-capitalistes). Et de conclure sur la nécessité de co-constructions du patrimoine « naturel et culturel » qui est non seulement un enjeu démocratique, mais un défi économique et social. Car, si le patrimoine peut constituer un levier pour dynamiser le tissu économique rural, l’action patrimoniale a à jouer sur une ligne de crête délicate : entre la préservation d’un patrimoine vivant et le risque de sa foklorisation, mais également entre la valorisation économique de la culture locale et l’écueil de sa réduction à un ensemble de biens purement marchandisés au service du marketing territorial.

 Le patrimoine de la frontière… aux frontières du patrimoine

Philippe Hanus, historien et coordinateur éditorial de Traverse, poursuit la réflexion en s’interrogeant sur les patrimoines de la frontière. Il évoque le système de bornage et la disparition de ses traces dans le paysage, ainsi que le devenir des postes frontières franco-suisses dont certains sont à l’abandon et parfois convertis en commerces. Les espaces frontaliers cristallisent tout particulièrement les mémoires d’une nation dans ses relations aux autres États à travers conflits, réconciliations et coopérations. Leurs paysages, profondément marqués par les cicatrices des guerres des XIXe et XXe siècles, interpellent le visiteur quant aux modalités de construction du récit national, en questionnent les limites voire les ambiguïtés. En effet, le patrimoine de la frontière n’est guère consensuel : c’est le patrimoine de la répression, ou du contrôle, le patrimoine de l’étranger, le patrimoine de l’ennemi.

La ligne des « toblerones » dans le secteur du lac de Joux. Source : https://www.myvalleedejoux.ch/fr/P20091/les-toblerones?group=1864

Philippe Hanus cite comme exemple le chalet dit Le Yéti — situé à la périphérie de la station de ski jurassienne Les Rousses et à quelques centaines de mètres de la frontière suisse — où en février 1962, les conditions des accords d’Évian (mars 1962) ont été négociées entre émissaires algériens et français, dans le plus grand secret. Une stèle commémorative y a été installée en 2018 par les autorités locales. Jusque-là rien ne distinguait cet édifice, situé à, proximité de la frontière, dédié désormais à l’accueil du matériel des services de l’Equipement.

Le garage du Yéti aux Rousses. Source : http://www.micheldandelot1.com/16-juin-2018-inauguration-d-une-stele-commemorative-au-yeti-aux-rousse-a126707700

Cet exemple est révélateur de  la différence entre l’abondance des sites historiques et la rareté des représentations – et a fortiori de valorisation – dont ils font l’objet. Ce constat nous amène donc à nous interroger sur la manière dont la mémoire nationale s’articule ou s’entrechoque avec d’autres récits produits au sein de territoires où existe une culture de la frontière.  Et Philippe Hanus de conclure sur l’intérêt d’une entreprise transfrontalière telle que Traverse qui permet de mettre en récit ce territoire autrement que de l’état nation et ainsi de faire émerger une histoire franco-suisse.

Cérémonie du 16 juin 2018. Sources : http://fnaca-jura.e-monsite.com/album/le-yeti-les-rousses/

Atelier éditorial

Dans un second temps, il est proposé à l’assemblée une immersion dans l’univers de traverse par Ulrich Fischer, AMO de l’opération, Pascale Dubois, coordinatrice éditoriale et Marie Gallay, community manager. Lors de cette séance d’atelier, chacun a pu se familiariser avec l’outil et ainsi créer ses propres cartes postales, encadré par l’équipe des contributeurs traverse.

Ulrich Fischer pilotant l’atelier éditorial. Crédit David Dereani

 

Cette riche journée s’achève par une visite des collections du FRAC Franche Comté sous la houlette de la responsable de l’établissement.

Marie Galey photographiant l’une des oeuvres du FRAC, Crédit David Dereani

 

Visite du FRAC, Crédit David Dereani

Pour aller plus loin

Noël Barbe : http://noel-barbe.blogspot.com/

Philippe Hanus, « Les secrets d’une frontière, à Modane et dans les Alpes franco-italiennes, de 1860 à nos jours. Traces, patrimoines,   mémoires » : https://journals.openedition.org/insitu/

http://www.micheldandelot1.com/16-juin-2018-inauguration-d-une-stele-commemorative-au-yeti-aux-rousse-a126707700

La fin d’une guerre s’est jouée dans un garage du Jura

C’est un bâtiment qui ne paye pas de mine, et c’est rien de le dire.  » Le Yéti « , qui porte décidément bien son nom, est certes imposant, mais pas franchement du plus bel aspect… Mais qu’importe.

Léon Pressouire, « Brèches dans la frontière, point rituels de passage – une notion ambiguë », dans Gabi Dolff-Bonekämper, Patrimoine européen des frontières – Points de rupture, espaces partagés, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2004.

 

Cité des Arts et de la Culture

La Cité des Arts regroupant le Conservatoire du Grand Besançon et le Fonds Régional d’Art Contemporain ouvre tout grand ses portes ce 5 mai. Aux expositions et con…

 

https://www.frac-franche-comte.fr/fr/lessentiel

 

patrimoine.bourgognefranchecomte.fr