A Morteau, professionnels et amateurs des patrimoines franco-suisses découvrent l’expérience traverse

Découvrez la vidéo qui synthétise la dynamique collaborative de cette journée:

Morteau, fin de saison hivernale : ambiance !

En ce mardi 6 mars 2018, une alternance de flocons de neige et de pluie épaisse, un ballet de nuages noirs poussés par les vents d’ouest créent une ambiance particulière de fin d’hiver dans la petite capitale du Haut-Doubs horloger.

Ce contraste entre un ciel tourmenté couleur acier, de vastes espaces enneigés et les sombres forêts d’épicéas, forment un paysage « typiquement jurassien » magnifié par le peintre pontissalien Pierre Bichet, ou le chanteur-poète Michel Bühler installé à L’Auberson (Vaud) : « Le ciel est plombé. Pas une feuille encore, dans le bosquet qui sépare ma maison du vaste Plateau des Granges. La radio, tout à l’heure, annonçait de possibles chutes de neige jusqu’à mille mètres d’altitude. Tout pourrait être à nouveau blanc demain matin. Je sais qu’en bas, en plaine du côté d’Yverdon ou de Lausanne, ou de l’autre côté à Besançon, ou Dole, les pommiers et les cerisiers sont déjà couverts de fleurs, la sève impérieuse charrie ses flots, riche de sucre entre bois et écorce(…) Ici c’est un autre pays. Nuit qui tombera tôt, nuages bas et immobiles« .

Longchaumois, Jura (F). Lithographie de Pierre Bichet.

Bravant ces éléments « dantesques », une quarantaine de personnes ont fait le déplacement au Musée de l’horlogerie de Morteau pour participer à une journée d’échange et de rencontre autour de la valorisation des patrimoines franco-suisses au moyen d’outils numériques de partage de la connaissance, et en particulier pour découvrir ou expérimenter l’outil traverse : des professionnels de la culture, du patrimoine et du tourisme, mais aussi de l’artisanat issus d’horizons géographiques variés. Si la plupart d’entre eux proviennent du Val de Morteau ou de la région de Pontarlier, on aura aussi remarqué quelques visiteurs de La Chaux-de-Fonds, Lausanne, Le Locle, Neuchâtel et enfin une petite délégation de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Morteau et le Doubs, lithographie de Pierre Bichet.

Célébrer la coopération et l’amitié franco-suisse

En guise de bienvenue, les chefs de file du projet traverse – Martine Buissart pour la Fondation FACIM (Savoie, Chambéry) et Laurent Chenu pour le Sipal (Vaud, Lausanne) – ont rappelé brièvement que le découpage des territoires nationaux par les autorités politiques et scientifiques interagit au cours de l’histoire avec les pratiques des populations riveraines et celles des individus en migration. La politique des États qui engage un processus de différenciation entre la Suisse et la France, entre parfois en conflit avec les solidarités humaines de part et d’autres de la frontière. C’est précisément la richesse de ces échanges culturels et techniques dans la longue durée de l’Histoire que le projet traverse se propose de mettre en lumière à travers la valorisation des patrimoines franco-suisses.

Patrimoine en Franche-Comté – Région Bourgogne-Franche-Comté Frontière franco-suisse – Lac-ou-Villers – Le bureau des douanes et la fabrique d’horlogerie Cupillard-Girardot, avant 1907

« Faire patrimoine » par Noël Barbe :

Au cours d’une introduction à la journée, l’anthropologue Noël Barbe, chercheur au CNRS et conseiller pour l’ethnologie à la DRAC Bourgogne-Franche-Comté, a livré une réflexion sur les différentes manières de « faire patrimoine » aujourd’hui, à partir d’exemples concrets empruntés à la région ou à l’Alsace voisine. Il a ainsi livré un certain nombre de propositions – d’inégales importance et parfois volontairement incomplètes ou peu développées, sans prétention évidemment d’épuiser le sujet. Celles-ci renvoient aussi au réglage d’une boussole, qui n’était pas donnée d’avance, établie dans l’exercice d’actions patrimoniales.

Les participants à l’atelier lors de la conférence inaugurale. Crédit Taramarcaz

A ses yeux, le patrimoine est moins un bien matériel ou immatériel qu’un rapport social. Il s’agit là de défendre ou de mettre en avant une conception relationniste du patrimoine. Les biens patrimoniaux ne le sont qu’en tant qu’ils sont en relation avec des êtres humains qui leur attribuent des valeurs qui peuvent être de différents ordres (économique, politique, civique, domestique, symbolique…), êtres humains eux-mêmes en relation entre eux à propos de ce bien et de bien d’autres choses.

Si le patrimoine est un rapport social, et si l’objet de ses préoccupations ce sont des expériences humaines, ce qui le constitue, sa matière en quelque sorte, peut être diverse. Exemple avec un terrain de recherche mené en Alsace, autour de la question de ce qui fait, pour des acteurs « ordinaires », patrimoine culturel immatériel.
Le patrimoine immatériel peut être compris comme la somme des relations sociales entretenues avec d’autres êtres humains. L’objet matériel est alors ce qui exprime, permet, résulte ou crée ces relations.

« Le patrimoine, c’est un héritage actif »
« Le patrimoine, c’est une trace »
« Le patrimoine, c’est un monde perdu »

Fabriquer du patrimoine , c’est jouer avec le temps. Passé en tant qu’il est rendu présent, passé en tant qu’il est futur, du présent en tant qu’il est futur. Fabriquer un héritage au milieu de multiples temporalités.

Noël Barbe interrogeant la « fabrique du patrimoine »

Si le patrimoine est un rapport social, un rapport entre humains et un rapport entre humain et biens, alors fabriquer du patrimoine, c’est un geste ou des gestes politiques…

1- bien sûr il y a, historiquement, la fabrication étatique du patrimoine pour faire Nation
2- mais surtout, et hors du champ de la compétition électorale, des gestes qui répartissent des capacités (pouvoir) entre individus. De ce point de vue-là il peut être instruit au registre d’un ethos démocratique, c’est-à-dire au principe de l’égalité de tous pour dire ce qui fait patrimoine et ce à différentes échelles.

Dissensus, le patrimoine comme outil de pacification ou outil de réflexivité qui permet de se décrire, de se donner à voir dans une situation sociale où valent les divisions.

Décrire le patrimoine, ce ne serait pas le documenter à l’aide du passé (sempiternels recueils de mémoires) mais décrire, analyser le rapport entretenu au présent avec des choses ou des objets, le jeu avec le temps. Décrire donc le rapport social.

 

Morteau vers 1900. Photographie. Région Bourgogne-Franche-Comté, Service Inventaire et Patrimoine, Besançon. Cote : Fonds Jules Manias

Atelier 1, « Réflexion sur le statut des contributeurs de traverse et sur les pratiques et usages ordinaires de l’application »

Animé par Julia Bonaccorsi et Juliette Le Marquer, chercheuses en Sciences de l’information et de la communication à l’Institut de la communication à l’Université Lumière Lyon 2, et Ulrich Fischer, AMO de Traverse, cet atelier a proposé, à partir d’une variante du jeu des sept familles (créée pour l’occasion), d’étudier des profils types d’utilisateurs de Traverse. Les participants ont été invités à élaborer un scénario autour de l’usager qu’ils avaient pioché, en tentant d’imaginer comment celui-ci pourrait être amené à se servir de Traverse dans son quotidien, lors d’un événement, etc. Le temps de réflexion a été restreint à 25 minutes afin de garder un temps de restitution pour chacun des groupes. Munis de grandes feuilles, ils pouvaient aussi bien dessiner un parcours, un schéma, écrire une histoire, faire un dessin, etc.

Au sortir de cette expérience partagée avec un groupe majoritairement composé d’acteurs du tourisme et du patrimoine du “territoire Traverse”, les animateurs de l’atelier ont constaté, de la part de tous, un enthousiasme et de vrais questionnements sur l’application. L’activité de groupe proposée était contraignante, mais elle a permis de mettre en évidence quelques enjeux déterminants pour l’avenir de Traverse. La première grande contrainte qui est apparue est celle de la question technique et humaine. En effet, lors de l’atelier, les groupes ont tous eu du mal à appréhender la rencontre entre le personnage fictif et l’application, imaginant soit des acteurs du tourisme engagés pour la cause Traverse, ou bien des rencontres sur internet fortuites et heureuses. Les invités ont évoqué plusieurs solutions concrètes pour parer à cela. Dans un premier temps, une version sur le web depuis un ordinateur ou un smartphone. Ainsi, chaque fiche de l’application pourrait posséder un référencement sur internet, et attirer de nouveaux usagers curieux.

Personnage du jeu des 7 familles par Juliette Le Marquer

Il apparaît en outre que la médiation de Traverse auprès d’un public plus large n’est guère évidente. En effet, il est complexe de demander aux acteurs du tourisme et du patrimoine de s’engager à parler de Traverse à de potentiels usagers étant donné leur charge de travail quotidienne. Ainsi, premièrement, l’idée d’une vidéo présentant Traverse et pouvant être diffusée dans les offices de tourisme a été évoquée.

Enfin, les usagers ont pensé qu’une passerelle depuis Facebook vers l’application serait nécessaire sur smartphone, en attendant la création d’une version web.

Les membres de l’atelier 1 en pleine réflexion

Les participants ont ensuite évoqué la question de la valeur au-delà du contenu. En effet, Traverse peut facilement se transformer en accompagnateur d’événements culturels ou sportifs et ainsi valoriser le patrimoine au travers d’une activité récréative (par exemple une rando à VTT à la découverte des sites historiques). On a également suggéré l‘idée de présenter Traverse comme une expérience narrative complémentaire à des informations plus factuelles présentes dans les offices de tourisme ou sur internet. En conclusion, à l’avenir l’équipe technique de Traverse souhaite s’appuyer sur les idées des futurs contributeurs présents à Morteau pour mieux appréhender les attentes des publics.

Atelier 2 : comprendre et expérimenter l’outil d’éditorialisation de Traverse

Animé par David Dereani, Philippe Hanus et Célestin Taramarcaz, membres de l’équipe technique de Traverse, cet atelier avait pour ambition de permettre aux participants de se familiariser avec l’outil en élaborant d’abord collectivement, puis individuellement, des « fiches-cartes postales ». Au préalable les animateurs ont présenté l’outil, ses objectifs et les usages qu’il est possible den faire. Différentes questions ont alors émergé, concernant la notion de fiche ou plutôt de carte postale, ou encore sur ce qu’est une playlist. Les hashtags et les labels ont fait émerger quelques incompréhensions qui ont été expliquées par les animateurs. Ensuite l’équipe s’est livrée à un présentation technique du “back office”, c’est-à-dire de l’outil d’éditorialisation, pour permettre à l’auditoire d’en comprendre la logique et les différents aspects. Au moyen d’un vidéoprojecteur, l’outil d’éditorialisation a été projeté, ce qui a permis d’expliquer les différentes étapes et options dans la fabrication d’une fiche.

Dans un second temps, malgré une météo peut engageante, le groupe est parti à la découverte des patrimoines de Morteau. On a ainsi pu découvrir que le majestueux bâtiment de l‘actuelle Maison des Jeunes et de la Culture a jadis hébergé une école d’horlogerie.

L’édifice de la MJC de Morteau, jadis école d’horlogerie. Crédit Taramarcaz 2018

Ensuite, pour échapper à la pluie glaciale, le groupe est allé trouver refuge dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, située en hauteur, à l’écart de la vielle ville. Cette église prieurale et paroissiale, inscrite aux Monuments Historiques depuis 1929, fut probablement construite pour la première fois au XVe siècle. Elle a subi depuis de nombreux incendies, et fut plusieurs fois reconstruite ou modifiée.
Du bâtiment originel, il ne reste que l’abside à trois pans. Le chœur ainsi qu’une grande partie de la tour-clocher datent quant à eux de l’église du XVIe siècle qui fut partiellement détruite par un incendie en 1749, tout comme le couvent mitoyen. Un nouveau feu se déclencha dans le clocher en 1945. L’architecture intérieure de cette église est très soignée et comporte plusieurs voûtes sculptées.
Le mobilier est également très intéressant. L’église abrite entre autres une Vierge de Pitié du XVe
siècle ainsi qu’une toile du XVIIe représentant la Vierge libératrice de Morteau. On peut également y voir treize stalles de moines. Au retour de ce vagabondage dans les rues de Morteau, différentes cartes postales ont été produites collectivement et intégrées à l’outil Traverse.

Au terme de cet exercice, les animateurs de l’atelier sont revenus sur le fait que – même si les exemples choisis à Morteau ce jour relevaient du patrimoine bâti – la création d’une fiche n’est pas forcément directement en lien avec le patrimoine matériel mais peut renvoyer à du patrimoine immatériel, du symbolique, aux représentations d’un territoire, et ainsi assumer une dimension très subjective dans la production de contenu : par exemple en ce qui concerne la perception de l’hiver autrefois an dans le Jura (la méchante saison), en la comparant avec celle d’aujourd’hui (la saison rêvée de l’or blanc). Cela permet aux contributeurs de pouvoir s’exprimer via le numérique, comme des narrateurs d’histoires personnalisées et vivantes, les autorisant à sortir du cadre institutionnel et professionnel.

Le Château Pertusier, musée de l’horlogerie de Morteau. Crédit Hanus 2018

La visite guidée du Musée de l’horlogerie par son directeur Grégory Maugain

En fin d’après-midi, Grégory Maugain – le directeur du Musée de l’horlogerie – a proposé une visite guidée de son établissement qui présente une collection exceptionnelle d’horloges, de montres et de machines en provenance de toute l’Europe. Cette visite – se conjuguant avec celle du Château Pertusier, noble demeure de la Renaissance – a ainsi  offert aux visiteurs un parcours consacré à l’histoire de la mesure du temps.

Grégory Maugain lors de la visite du Musée. Crédit Hanus 2018

Durant la visite, les propos de Grégory Maugain, enfant du pays, historien et fils d’horloger, nourris d’une solide érudition technique, furent à la fois sérieux et malicieux. Plus d’une heure durant, il a plongé l’assemblée médusée dans l’univers quotidien des fabricants de montres ou d’horloges.

Cette visite commentée a permis de terminer la journée dans une ambiance des plus conviviales.

La salle des automates du Musée de l’horlogerie. Crédit Hanus, 2018

Les organisateurs tiennent à remercier chaleureusement la Municipalité de Morteau, les services techniques, Grégory Maugain et les responsables de l’Office de tourisme du Pays horloger pour leur implication dans la réussite de cette rencontre.

Pour aller plus loin  :

  •  Noël Barbe, Aurélie Dumain : collectionner le temps : http://www.academia.edu/35680297/Collectionner_le_temp
  • Quelques témoignages vidéos des personnes présentes aux rencontres :

  • Poursuivre la visite du Musée de l’horlogerie :