Les Menuires : une vallée et une station pas comme les autres

Les Menuires. Crédit D. Dereani – Fondation Facim 2009

 

 

  Une vallée et une station pas comme les autres

Les Menuires by night. Crédit photo OT Les Menuires

Vivre en station de ski, ce n’est pas seulement glisser tout l’hiver sur les pistes d’un grand domaine, c’est aussi vivre avec une architecture et sentir ses lignes directrices. L’architecture des Menuires est incomparable : elle peut surprendre, déplaire, déconcerter, titiller la curiosité ou rendre perplexe mais elle ne laisse personne indifférente. Surtout, elle pose des questions : pourquoi et comment des hommes ont-ils pu imaginer de telles constructions à cette altitude ? A l’origine, il y a une histoire, un site et un projet. L’histoire, c’est celle d’une communauté montagnarde – les Bellevillois – profondément attachés à leur terre qui s’adaptèrent pendant des siècles face aux éléments – souvent hostiles – de la nature et engendrèrent une civilisation agropastorale. Cette ingénieuse obstination permit la création des grands alpages – supports indispensables aux futurs domaines skiables – et l’émergence d’une économie d’élevage et de production fromagère. En 1960, cette économie était à bout de souffle, les villages et les hameaux de la vallée de St-Martin-de-Belleville se vidaient de leurs forces vives – les hommes, et les jeunes en particulier – partis travailler en ville et dans les usines. Dans les alpages et notamment dans les montagnettes (petites montagnes d’exploitations privées) du secteur des Menuires – anciennement Mineria – un nouvel avenir se dessinait. Des anciennes mines de charbon de ce site de prédilection, naitrait bientôt un nouvel or blanc venu du ciel d’hiver : la neige. De part sa configuration géographique et son passé géologique, le site des Menuires ne pouvait pas accueillir un village de montagne ; les nouvelles constructions devaient être espacées et concentrer l’habitat pour laisser une large place au domaine skiable. Le ski devint roi dans la grande vallée des Belleville qui proposait des milliers d’hectares aux passionnés de glisse au sein de l’immense territoire touristique des Trois Vallées.

 

Les Menuires. Tour du clocher. Crédit D. Dereani-Facim

 

Une architecture résolument moderne comme un signal dans la montagne

Les Menuires, ce fut avant tout un projet de station à la fois très urbain et novateur, financé majoritairement par des fonds publics. Dès les premiers coups de pioche – en 1964 – on devina que la silhouette des Menuires serait élancée, faisant la part belle au béton armé pour des formes architecturales audacieuses. Mieux, ce serait un projet mettant en lumière tous les grands principes du Plan Neige – une volonté étatique dans les années 1960 pour aménager touristiquement la montagne – faisant des Menuires un symbole du modernisme et de l’inventivité française au milieu du grand « désert blanc » des Belleville.

Les Menuires en 1966. Source : http://www.brelin.fr/les-menuires/

L’équipe d’architectes choisie sur concours  et dirigée par Philippe Douillet proposa un ensemble original concentré et dense afin de « rassurer les skieurs, créer un centre de gravité pour la station et produire une architecture repère ».

Les Menuires, illuminations du quartier Croisette. Crédit D. Dereani-Facim

Les premiers immeubles sortirent de terre en 1964/1965 sur le plateau des Boyes et formèrent la Croisette avec les tours « Lauzes, Pelvoux, Aravis, Neige et Ciel, Grande Masse et Caron ». Le gigantisme de ces premières réalisations tranchait volontairement avec l’habitat traditionnel. Les Bellevillois étaient définitivement rentrés dans un nouveau monde.

Un immeuble symbole labellisé « architecture du XXe s. »

Les Menuires immeuble Le Brelin. Crédit D. Dereani – Fondation Facim 2010

Plus étonnant encore, en 1972, avec la réalisation de l’immeuble Brelin, surplombant le quartier de la Croisette. Ses formes longilignes lui donnent l’allure d’un vaisseau ancré dans la pente, un véritable « paquebot des neiges » qui renvoie aussi à l’image des anciens sanatoriums installés aux endroits les plus ensoleillés. Aujourd’hui, ces 650 copropriétaires profitent toujours d’une situation avantageuse avec de nombreux atouts : vue panoramique, exposition favorable, terrasse-solarium, pied des pistes, galerie marchande couverte… L’ensemble monumental s’intègre parfaitement au quartier pionnier, le traitement des façades est particulièrement soigné avec l’utilisation originale des ardoises angevines. Cette réalisation architecturale inédite a motivé sa labellisation au titre du « patrimoine remarquable du XXe s. » instaurée en 2010 par le Ministère de la Culture. Il fait désormais partie du patrimoine bellevillois et son histoire se raconte dans le cadre d’une visite guidée de la station.

 

 

Les Menuires, immeuble Le Brelin. Crédit D. Dereani – Fondation Facim 2010

Pour aller plus loin

Marie Wozniak, L’architecture dans l’aventure des stations de sports d‘hiver, stations de Tarentaise, 1945-2000, Éditeur : Société Savoisienne D’histoire Et D’archéologie, Collection : Mémoires & Documents, 2007

Marie Wozniak, architecte DPLG, docteur en géographie de l’Université de Grenoble, est aujourd’hui architecte-urbaniste de l’État. Elle retrace le rôle et la place de l’architecture et des architectes dans l’aventure des sports d’hiver et particulièrement dans la construction des stations de Tarentaise. La perception de ce considérable patrimoine bâti évolue, les normes esthétiques changent, les désirs de vacances et d’activités sportives sont en pleine mutation. Marie Wozniak raconte et analyse les intentions des concepteurs, elle nous dévoile les enjeux architecturaux d’une Savoie marquée aujourd’hui par le tourisme… L’histoire contemporaine de la Savoie et de ses paysages bâtis s’en trouve éclairée.

 

Philippe Revil, L’anarchitecte, Laurent Chappis, rebelle de l’or blanc, Guérin éditions, 2002

Ni le profit, ni la technocratie, ni les politiques, ni même l’amitié n’ont fait plier Laurent Chappis. Architecte, urbaniste, il a toujours fait passer la montagne avant tout : « Elle est architecture » déclare-t-il. Humblement il a pensé tous ses projets de stations « avec ses pieds », parcourant leurs pentes des mois durant, à pied ou à peaux de phoque, avant de tracer le moindre trait. Philippe Révil raconte le parcours de cet intransigeant qui a quitté Courchevel parce que c’était parti pour être folklorique et superficiel, Flaine pour devenir une station béton, les Menuires pour défigurer la montagne : confier une station de ski à l’architecte de Sarcelles… quelle idée ! Ce livre dessine le portrait d’un pur, que le monde regarde aujourd’hui, à l’heure du développement durable, comme un visionnaire.

Maryannick ChalabiEric DessertJean-François Lyon-CaenCatherine Salomon-Pelen , Collectif, Stations de sports d’hiver, urbanisme et architecture, édition Lieux dits, 2014.

Entre 1920 et 1980, les stations de sports d’hiver construites dans les Alpes ont été de véritables laboratoires d’urbanisme et d’architecture. À travers la présentation de six d’entre elles (Megève, Courchevel 1850, Flaine, Avoriaz, Les Arcs et Les Karellis), les auteurs montrent comment les concepteurs ont répondu à ces nouvelles commandes par des créations originales propres à chaque site. Grâce à de nombreuses illustrations, découvrez ces stations depuis leur fondation : du domaine skiable aux stations sans voiture, du chalet skieur au studio cabine, l’ouvrage témoigne du caractère novateur de ces aménagements. 
Rarement montrés, les intérieurs rivalisent eux aussi d’ingéniosité. L’ouvrage s’accompagne d’une liste analytique des principaux acteurs de la conception des stations, d’un appareil critique, d’une bibliographie et d’un index.

Sites internet

http://www.parcoursinventaire.rhonealpes.fr/stationski/

http://www.rhone-alpes.culture.gouv.fr/label/spip.php?rubrique1

https://www.patrimoine.rhonealpes.fr/

Les Menuires. Crédit K. Mugnier – Fondation Facim 2011