Anselme Boix Vives en Tarentaise

Anselme Boix-Vives (1899-1969) est un peintre et auteur autodidacte né en Espagne, ayant émigré en France dans sa jeunesse.

https://abcd-artbrut.net/collection/boix-vives-anselme/

Au terme d’une longue pérégrination en Savoie, Boix-Vives a fait souche en la vieille cité épiscopale de Moûtiers au cœur d’une vallée de Tarentaise. Il y a vécu un demi-siècle en une époque, de l’Entre-deux-guerres aux Trente glorieuses, où la contrée de montagne est l’objet de mutations sans précédent tant par leur ampleur que par leur caractère irréversible. À ce titre il a par conséquent su tirer profit des formidables opportunités offertes par cette région devenue un indéniable eldorado alpin.

Moûtiers, une petite cité à la grande histoire

La petite cité moûtiéraine cultive avec nostalgie le souvenir de son prestigieux passé, campée sur sa fonction économique résiduelle de modeste pôle commercial et administratif. L’histoire est pourtant passée par là comme en témoigne le tracé de cette rue Cardinale rectiligne au milieu de laquelle s’ouvre depuis 1928, dans le voisinage de la cathédrale Saint-Pierre, la devanture de l’épicerie Boix-Vives.

http://tarentaise-vanoise.over-blog.com/article-villages-de-tarentaise-canton-de-moutiers-65445964.html

N’est-ce pas en effet dans la ville antique de Darentasia commuée en Moustiers au Moyen-Age que se sont succédé, des siècles durant, tant de voyageurs pressés de franchir l’obstacle géologique des Alpes ? Entre le large débouché sur la Combe de Savoie et l’altier col du Petit-Saint-Bernard il ne saurait d’ailleurs exister d’autre unité véritablement urbaine au mitan d’un siècle où, l’exploitation « industrielle » de la manne touristique en est encore à ses balbutiements. Les principales officines institutionnelles des pouvoirs civil et ecclésiastique longtemps symbolisées par la sous-préfecture, le tribunal de première instance, la prison, les casernes, les bureaux du Trésor public, l’hôpital et l’archevêché se concentrent donc au carrefour naturel de voies montagnardes secondaires avec l’axe principal de circulation transalpine, dans la petite capitale historique de la Tarentaise au demeurant desservie par la voie ferrée dès 1893. De même continuent ici à coexister la plupart des structures représentatives d’une animation culturelle de type provincial, par le biais des établissements scolaires secondaires et de cercles associatifs les plus divers. Là subsistent aussi rédactions de feuilles de presse locales, imprimeries et librairies.

L’épicier de Moûtiers. Source : http://www.ot-moutiers2.com/pages/colporteurs-de-memoire/la-photo-du-jour/02-novembre-2016.html

 

C’est dans ce microcosme qu’un boutiquier fier de son destin, sous les traits d’un patriarche familial à l’ancienne soudain désœuvré par la mort de son épouse, ne déambulant jamais sans chapeau ni cravate de rigueur sous son éternelle blouse de drap bleu dans cet univers familier de trois mille cinq cents âmes où, en véritable figure locale, il fait à la fois office de notable respecté et de parfait illuminé dans la promotion obstinée d’un vaste plan pour la paix mondiale ; c’est bel et bien là, généralement à l’étage de l’épicerie, dans l’exiguïté d’un salon quasi dépourvu de lumière naturelle qu’Anselme Boix-Vives embrasse sur le tard une carrière de peintre.

Anselme Boix Vives, Source : http://www.joron-derem.com

Une vallée de Tarentaise ouverte au monde

Le poncif de villages montagnards isolés du monde, contraints des siècles durant à une autarcie morbide ou au contraire salutaire aux yeux des propagateurs néoromantiques du thème éculé des « bons sauvages » alpins prospérant heureux à l’écart des affres de la civilisation, se révèle aussi tenace que dénué de fondements. La plupart des bourgades tarines n’ont cessé de connaître de permanents mouvements de population.

Vue partielle de la Table de Peutinger. Au centre la voie passant en Tarentaise par les cités : Axima (Aime) X. Darantasia (Moûtiers) XIII. Obilonna III. Ad Publicanos (Conflans, Albertville) XVI Mantala (Saint-Jean-de-la-Porte). Source : Wikipédia

Y compris dans le contexte d’un exode rural de grande ampleur au cours du second quart du XXe siècle, lorsque s’impose à l’issue de la dramatique saignée masculine de la Grande Guerre l’imagerie de localités frappées d’un irréversible déclin. La raison première de ce mouvement perpétuel tient en fait à la route. Depuis la protohistoire, quoique l’itinéraire soit réellement aménagé par l’administration impériale romaine en raison de son importance stratégique à l’échelle de la Romania, la Tarentaise représente une ancestrale contrée de mobilité humaine, caractérisée par d’intenses échanges avec le lointain. Car en outre de la cohue ininterrompue des voyageurs en transit à travers les Alpes, elle est aussi une région d’émigration séculaire. Et tout spécialement d’émigration saisonnière, faute de parvenir à nourrir tous ses nombreux enfants du fait d’un relief et de conditions climatiques délicates. Puis, cultivant ses contacts avec tous ceux de ses rejetons partis chercher fortune au loin, elle se mue en une destination d’immigration prisée, pour devenir l’une des terres d’élection d’un vaste melting-pot alpin à compter de la Belle Epoque, à l’heure de son industrialisation lourde générée par l’essor de la technologie hydroélectrique et de l’exploitation minière. À la porte des usines électrochimiques et électrométallurgiques ou des houillères se mêlent bientôt toutes les langues et tous les accents significatifs, dans une chronologie éclairante, des événements politiques majeurs agitant un vieux continent déstabilisé par le premier conflit mondial. Italiens bien sûr, proximité géographique oblige. Puis Arméniens, Russes, Polonais, Espagnols, Portugais, Yougoslaves, Maghrébins en autant de marqueurs temporels d’une litanie de tragédies humaines. Le lancement des programmes d’intérêt national d’aménagement hydroélectrique et touristique des massifs alentour, pour finir, emblématique de la planification étatique des Trente Glorieuses, achève ce processus d’hybridation culturelle par l’afflux de nouvelles vagues de main d’œuvre sur des chantiers de BTP pharaoniques et dans de flambant neuves « usines à ski » pourvoyeuses d’emplois de service.
Dans ce cadre d’un « Far West montagnard » propice à la réussite des pionniers les plus entreprenants, un épicier dont les tournures de langage trahissent l’origine ibère, mais légitimé par une adhésion sans faille à la religion ambiante du travail, parvient à faire souche sans jamais renier ses origines en accédant à une respectabilité unanime. Si bien qu’au moment de se saisir de pinceaux, à l’entame de sa seconde carrière, enfin devenu citoyen français près de deux décennies au préalable, Anselme Boix-Vives continue néanmoins d’incarner en toute conscience la figure d’un « espingouin de Moûtiers ».

Un système agropastoral bien peu « traditionnel » où l’argent circule

La Tarentaise est issue d’une civilisation agropastorale ayant contribué à en modeler le terroir, par la création de paysages montagnards très ouverts. Écosystèmes en réalité largement humanisés en dessous de l’altitude de 2500 mètres et sur lesquels se greffe par conséquent avec d’autant plus de facilité, dès la fin du XIXe siècle, une économie touristique florissante. Avec les Années Folles les vastes alpages d’estive, zones de pâturage et de fenaisons gagnées sur la forêt et la broussaille, puis pelouses méticuleusement épierrées, essouchées et quasiment « jardinées » par des générations de montagnards, se révèlent soudain le support idéal d’une pratique ludique du ski « alpin », une fois leurs doux reliefs figés sous un épais manteau neigeux hivernal.

Coteau de Champoulet (Salins-les-Thermes) fin XIXe siècle. Source : http://www.musee-moutiers.com

La spécialisation de la contrée, à l’aube des Temps Modernes, dans la production de grosses pièces de fromages de gruyère écoulée pour l’essentiel très loin de la vallée, engendre en effet une économie laitière intégrée à des circuits commerciaux d’envergure. Lesquels génèrent sur place une importante circulation monétaire. Toutefois le succès de cette « révolution » du gruyère n’en cause pas moins de colossales disparités de fortune. Car l’astucieux mécanisme du regroupement estival des troupeaux en vue d’un partage du fruit de la saison d’inalpage entre tous les adhérents villageois à l’entité collective de la « fruitière » est vite phagocyté par une élite de coqs de village. Or ce sont régulièrement ces « montagnards » enrichis par l’exploitation privative des opulentes « montagnes » d’estive qui diversifient leurs activités grâce au tourisme naissant avant de devenir, le cas échéant en qualité de précurseurs de l’hôtellerie de villégiature depuis le milieu du XIXe siècle, les initiateurs au lendemain de la Grande Guerre des premières saisons touristiques hivernales.
La paysannerie de Tarentaise parvient malgré tout à vivoter dans une « aisance » relative. Par la vertu d’un labeur harassant elle complète souvent le maigre revenu de son exploitation agropastorale des salaires gagnés dans le cadre d’une double activité. À la diversité ancienne des emplois offerts par les entreprises d’extraction de sel gemme, de plomb ou de galène, puis de charbon, vient faire concurrence à compter de la Belle Epoque celle induite par la production électrochimique et électrométallurgique. Avant que les nombreux métiers inhérents à l’exploitation de la manne touristique, du « bâtiment » aux « remontées mécaniques », perpétuent à l’orée des années 1970 la singulière figure locale du paysan ouvrier. C’est donc ce monde rural hybride, perméable aux controverses idéologiques contemporaines, tôt politisé par l’émigration temporaire et un contact permanent avec les milieux de l’usine et de l’hôtel, que côtoie le jeune émigré espagnol Anselme Boix-Vives.

Moûtiers, piliers des salines / © D.Dereani, Facim

L’attractivité d’une vallée « ouvrière » de tradition industrielle ancestrale

Outre son sous-sol prodigue en un anthracite de valeur exploité jusqu’à l’entame des années 1970, l’autre ressource à vocation industrielle de la contrée s’avère énergétique. Énergie ligneuse bien sûr, énergie hydraulique surtout, en une région où le flot des torrents actionne les roues à aubes d’une multitude d’ « artifices » villageois.

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Or l’invention de la conduite forcée conjuguée à l’amélioration des performances de turbines aptes à produire de l’électricité en abondance changent brusquement la donne à la veille de la Belle Époque et Moûtiers peut symboliquement s’enorgueillir d’être parmi les premières villes de France à bénéficier de l’éclairage public dès 1892.

La noria des autocars à Moûtiers. http://www.musee-moutiers.com

En quelques décennies la majorité de la population s’ouvre à une réalité sociale dorénavant commune à tous les grands bassins industriels d’Europe. En fond de vallée l’afflux des centaines de familles d’une main d’œuvre étrangère d’origine disparate dans les récentes cités ouvrières implantées à la périphérie des bourgades anciennes ; le développement d’œuvres associatives philanthropiques, culturelles ou sportives dans ces quartiers au quotidien rythmé, toutes les huit heures, par la sirène de relève des équipes « postées » à l’usine voisine ; la noria d’autocars de transport des paysans ouvriers issus des villages d’altitude ; les séduisantes vitrines des commerces de détail d’articles de mode ou de loisirs ouverts à proximité des rares magasins d’alimentation générale et des sombres boutiques artisanales de naguère ; les nombreux cafés dans lesquels s’agglutinent par affinité linguistique les diverses communautés de cette nouvelle société bigarrée ; la somme des composants d’un ensemble aussi pittoresque ne peut que fasciner un jeune émigré venu par-delà les Pyrénées tenter la chance d’une embauche dans des aciéries Girod.

Aciéries Paul Girod, Ugine. Source : Franck Gavard-Perret ; http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-histoire-de-l-aluminium-2009-1-page-108.html

Du tourisme mondain à celui de masse ou de la station climatique à celle de ski

La vogue de la villégiature estivale en montagne, si déterminante pour l’invention de l’alpinisme et la consécration du massif alpin en sa qualité de « terrain de jeu de l’Europe », tient à la combinaison au cours du XIXe siècle de l’étonnante longévité du rite initiatique du Grand Tour des élites anglo-saxonnes à travers le continent avec l’engouement de la « bonne société » cosmopolite de celui-ci pour le séjour d’agrément dans l’antre mondain des « villes d’eaux ». Dans les Alpes savoyardes l’insolent succès d’Aix-les-Bains encourage de hardis investisseurs à vanter les bienfaits alternatifs d’une myriade d’autres sources thermales. En Tarentaise, le complexe urbain de Brides-les-Bains représente à la fois l’équipement majeur et surtout le plus précoce d’un éclectisme architectural de palaces.

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À ce titre il constitue le socle historique de l’épopée touristique à venir, depuis lequel de premiers excursionnistes parmi la foule des placides « baigneurs » s’aventurent sur les sentiers de Vanoise avant que les plus hardis se piquent de séjourner plus haut, à proximité des parois d’escalade, dans des auberges de village vite aménagées au cours de la Belle Époque.

Route de Moûtiers à Brides, http://www.musee-moutiers.com

Puis sur fond d’idéologie hygiéniste exacerbée par les conséquences sanitaires désastreuses de la Grande guerre, au moment où les pouvoirs publics engagent un ambitieux programme de construction de sanatoria, certains de ces estivants se risquent enfin à de premiers séjours hivernaux pour chausser sur les pentes de Saint-Bon, de Champagny ou de Pralognan ces étranges skis dont s’entiche « l’Homme nouveau » de l’Entre-deux-guerres.

Saint Bon, Le Lac Bleu. Le premier hôtel de la commune ouvre ses portes en 1908 http://www.courchevel.com/hiver/fr/histoire-de-la-station-hi589.html

Soit sur les lieux où une poignée d’hôteliers visionnaires, tracent de premières pistes de descente dans l’espoir de pérenniser une seconde saison touristique. La pratique des sports de neige se popularise.

13 février 1910 Moûtiers organise son premier concours de sports d’hiver avec épreuves de ski et de bobsleigh. http://www.musee-moutiers.com

Mais dans le contexte administratif d’un vieux pays centralisé l’action publique entend rapidement reprendre la main sur le cours d’un mouvement d’essence spontanée. Dans le cadre d’une planification étatique érigée en système l’aménagement touristique de la montagne, espoir de substantielles retombées économiques, accède lors des années 1930 au rang d’une grande cause nationale culminant ensuite dans le dirigisme du célèbre « Plan neige » des Trente Glorieuses.
Faute de temps et de moyens suffisants le gouvernement de Front populaire se contente de l’esquisse de villes nouvelles implantées ex nihilo en altitude pour être dédiées aux sports d’hiver. Dans une remarquable continuité administrative, le Régime de Vichy s’attelle à leur modélisation effective dans les environs de Moûtiers en jetant son dévolu, sur le secteur des Trois Vallées. Quand bien même ce sont, à la Libération, les agents des Ponts et chaussées qui supervisent pour le compte du conseil général de la Savoie maître d’œuvre de l’opération, la mise en chantier de Courchevel 1850 puis de toutes les stations « intégrées » développées ensuite dans l’intervalle de quarante ans sur l’ensemble des massifs montagneux du territoire national.

http://www.courchevel.com/hiver/fr/histoire-de-la-station-hi589.html

Comment ne pas voir dans le destin personnel d’Anselme Boix-Vives un parfait marqueur de cette séquence capitale de l’histoire locale du XXe siècle ? Car obnubilé par la réussite de ses affaires l’émigré espagnol mu par une volonté farouche de s’extraire de l’indigence de son milieu d’origine s’inscrit en parfait protagoniste dans le cours de cette aventure collective conduisant son petit pays d’adoption à décupler en quelques années la rente de situation de l’exploitation du tourisme thermal et climatique mondain en celle du tourisme de masse généré par l’essor des loisirs de neige. N’est-il pas singulier de le voir en effet ouvrir sa première échoppe de primeurs à Brides, pour la saison estivale de 1922 ? Puis est-il anodin de le voir se lancer à l’assaut de Courchevel dès 1952, après avoir tôt fait de Moûtiers la solide base arrière d’un négoce de gros et de détail, afin de se prémunir d’une trop grande dépendance aux aléas cycliques de la fréquentation touristique ? Enfin est-il saugrenu de le voir encourager deux ans plus tard son fils Laurent à racheter avec la marque Rossignol une fabrique de skis d’importance régionale vite transformée en l’un des fleurons de l’industrie française de la neige ?

Laurent Boix Vives (à droite). Source : http://www.toutleski.com

Le lien intime entre la saga des sports d’hiver et le succès de l’intéressé se limite-t-il vraiment au seul pas de porte de l’épicerie familiale ? Hors de son contexte et sans égard au génie inouï de leur auteur, que seraient devenues les centaines de peintures entassées dans la pénombre de la résidence moûtiéraine ? Aurait-elle décollé cette fulgurante carrière d’artiste peintre si ses enfants bien plus que lui-même n’avaient côtoyé dans la station de tous les superlatifs comme dans ses prestigieuses voisines des Trois Vallées, une partie de ce que compte en faiseurs de réputation, au sein de puissants réseaux d’opinion, une part non négligeable de la prestigieuse clientèle concentrée en ces lieux ?

Un goût pour l’utopie cultivé dans la « mauvaise province » ?

Anselme Boix-Vives n’a jamais fait mystère de l’importance à son esprit de déroutantes incursions spéculatives au long cours dans l’univers de l’utopie politique. Il a même déclaré à l’envi combien une audience moins confidentielle que celle rencontrée par son obsessionnel projet de paix universelle, ressassé en vain à l’incompréhension croissante de son entourage, lui aurait au fond bien plus importé que la réussite de ses affaires ou l’improbable succès de sa peinture.

http://animulavagula.hautetfort.com/archive/2009/02/14/du-nouveau-sur-la-planete-boix-vives.html

Emouvant par la nature candide de nombreuses propositions, ce programme mûri année après année, étoffé à l’occasion d’une série de conférences moûtiéraines, révèle évidemment le caractère fantasque et la puissante verve poétique de son auteur.

Source : http://animulavagula.hautetfort.com/archive/2009/02/14/du-nouveau-sur-la-planete-boix-vives.html

Il est pourtant raisonnable d’admettre aussi l’influence plus ou moins manifeste des controverses idéologiques contemporaines à la croisée d’une époque et d’un environnement singulier. Car à l’instar des autres grands bassins industriels hexagonaux la Tarentaise est alors marquée par l’influence prépondérante d’une culture ouvrière ouvertement politisée par la véhémence d’une presse militante et la récurrence des diatribes exaltées de « meneurs » syndicaux charismatiques. Icônes des luttes prolétariennes animées d’une volonté farouche, forgée dans l’épreuve à l’image de celle qu’incarne dans la chronique locale le parlementaire et ministre communiste Ambroise Croizat, embauché à l’âge de treize ans en cette fonderie de Notre-Dame-de-Briançon, sa commune natale à l’aval de Moûtiers, théâtre quelques années plus tôt de la première grève d’importance en Savoie.

Ambroise Croizat, père de la Sécurité sociale. Source : http://www.lamarseillaise.fr

Au reste l’installation définitive d’Anselme Boix-Vives à Moûtiers, en 1928, le fixe avec femme et enfants au cœur d’une vieille cité commerçante et usinière de tradition politique frondeuse encore plus précoce. Sans doute peu au fait de cette histoire locale, trop viscéralement indépendant pour se languir dans un emploi d’ouvrier d’usine, apôtre fanatique de l’entreprise individuelle rétif à toute forme d’embrigadement partisan, l’épicier de la rue Cardinale qu’un parcours professionnel conditionné par une espèce d’ascèse du travail rapproche au contraire d’une mouvance apolitique vaguement libertaire — avant sa naturalisation française n’a-t-il pas obstinément refusé de retourner en Espagne remplir ses obligations militaires ? —, se montre par nature réfractaire à la doxa socialo-marxiste prospérant dans la vallée avant la profonde mutation des mentalités locales occasionnée par la success-story de l’Or blanc. L’immigré Anselme Boix Vives se préoccupe des questions sociales sur un mode éminemment métaphorique lorsqu’il sublime indistinctement questions d’actualité immédiate et réflexions globales sur l’état du monde en les transposant de manière onirique dans une œuvre spéculative relevant presque du genre de la performance artistique, d’une valeur au moins équivalente sous son aspect chimérique à celle de son double graphique.
Car à l’examen attentif cet œuvre bicéphale y compris son indéniable mysticisme religieux semble bien peu orthodoxe. Sinon suspect de syncrétisme déviant dans le bastion catholique de la Contre-Réforme naguère représenté, à l’âge d’or du fabuleux chantier paroissial d’adaptation des édifices cultuels villageois au goût baroque, par une Tarentaise il est vrai travaillée par une déchristianisation imputable à la diffusion rapide depuis le XIXe siècle, d’une culture ouvrière anticléricale. Il est donc possible que le somptueux ensemble sculpté d’une « mise au tombeau » de remarquable facture dans la vieille cathédrale toute proche, ou les majestueux retables des églises paroissiales alentour ne représentent peut-être déjà plus rien d’autre à ses yeux que de prodigieux répertoires d’images bigarrées, cependant vidées de toute substance religieuse.

Anselme Boix Vives, La mise au tombeau, 1964. Crédit : coll. particulière

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L’énigme restera à jamais en suspens. À cet égard pourtant, comme en tant d’autres indices exposés plus avant, Anselme Boix-Vives le génial autodidacte né à l’art dans « ce trou perdu » de Moûtiers y semble malgré tout en phase avec un certain esprit des lieux.

 

Pour aller plus loin :

Bruno Berthier,  » Anselme Boix-Vives, une histoire de la Tarentaise », in Anselme Boix-Vives, Fondation Facim, Fage édition, Musée des Beaux-arts de Chambéry, 2017, pp. 9-20.pp. 167-180.

Jean-François Chevrier, « Anselme Boix-Vives, le mythe visuel », in  Anselme Boix-Vives, Fondation Facim, Fage édition, Musée des Beaux-arts de Chambéry, 2017, pp. 9-20.

Jean-Dominique Jacquemond, Anselme Boix-Vives, Paris, La Différence, .

Marie-Caroline Sainsaulieu, Anselme Boix-Vives, Lausanne, Sylvio Acatos, .

Emmanuel Daydé, Anselme Boix-Vives : l’aménagement du monde, Paris, Alain Margaron, .

Ressources en ligne :

Moûtiers | Villes et Pays d’art et d’histoire en Auvergne-Rhône-Alpes

Favoriser la découverte du patrimoine via les outils numériques. Le site vpah-auvergne-rhone-alpes.fr conçu par la direction régionale des affaires culturelles Auvergne-Rhône-Alpes est destiné en priorité aux enseignants, aux élèves de collège ou lycée mais aussi à tous les publics curieux de patrimoine.

 

Les dossiers de www.sabaudia.org : L’industrie en Savoie

La situation de villes comme Annecy, Chambéry et Thonon sur le bord occidental de la chaîne des Alpes n’est pas étrangère au rôle de commandement qu’elles ont exercé dans le passé et qui est symbolisé par la présence d’un château ducal. Elles ont conservé à des degrés divers leurs fonctions administratives et développé leur rôle commercial.

Le blog de musee-moutiers

Un musée dédié à la vie agroapostorale dans la vallée alpine de la Tarentaise. Une machine à remonter le temps pour découvrir la Savoie d’autrefois.

 

Anselme Boix-Vives

Anselme Boix-Vives naît le 3 janvier 1899 à Herbeset en Espagne. Enfant, il ne fréquente aucune école, n’apprend ni à lire ni à écrire. Avec ses frères, il garde les moutons avant d’émigrer en France à l’âge de 18 ans. Arrivé en Savoie, il s’installe à Moûtiers en 1928 où il ouvre son magasin de primeurs.

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