A la recherche des viaducs de l’Ain et du Jura

Le mot même de viaduc me revient comme un écho un peu lointain mais familier. Celui dont il est d’abord question est situé sur la ligne ferroviaire Andelot-La Cluse dite « des Hirondelles ». Il franchit la rivière d’Ain  entre les communes de Champagnole et de Cize, dans le Jura. Le viaduc dit de Syam s’inscrit dans le paysage comme une haute  silhouette d’arches de pierre  reliées par tablier métallique.

Viaduc de Syam (Jura), carte postale ancienne, fonds François Portet

 

Au fil du temps les arches du pont comme la roche des versants ont pris cette teinte grise-bleutée caractéristique des calcaires longtemps exposés à l’air. Dans les promenades pédestres qui nous conduisaient presque invariablement à emprunter cette partie de la vallée de l’Ain, le viaduc s’offrait ainsi comme une composante presque naturelle du paysage.

Viaduc de Syam. Derrière le parapet se devine la vallée de l’Ain. Source Inventaire du Patrimoine de Franche Comté. http://patrimoine.bourgognefranchecomte.fr

 

Il était aussi un  cadre qui permettait d’apercevoir, à travers ses arches, la rivière lumineuse en contrebas, car, dans mon souvenir, la vallée assez fermée et la hauteur des piles laissaient bien peu de place au ciel.

 

  Chemin de fer de Champagnole à Morez. Plan, 1889. Dessin sur calque (plume, crayon de couleur), 12 décembre 1889, échelle 1:10 000 par Canat, G. (ingénieur civil). Archives départementales du Jura, Montmorot  – Cote du document : Sp 2202. © Région Franche-Comté, Inventaire du patrimoine, ADAGP.  

 

Parce qu’il était là, à trois ou quatre kilomètres de la petite ville, le viaduc offrait un but pour les sorties, mais pas un de ces marcheurs ne se serait surpris à s’arrêter devant ce « monument ordinaire », comme il en était pour la « percée de Sirod » tunnel taillé à vif dans le rocher en 1847.  Ces conquêtes de l’industrie humaine participaient pourtant du pittoresque montagnard comme en témoignent les cartes postales du début du XXe siècle.

 

 

 

La percée de Sirod (Jura) carte postale ancienne, fonds François Portet

 

Si le viaduc de Syam s’est ainsi inscrit dans une géographie intime, j’ai redécouvert le viaduc de « Cize-Bolozon » à l’occasion de randonnées cyclistes répétées ces dernières années. Il est situé à près de quatre vingt kilomètres au Sud du site précédent. C’est un ouvrage beaucoup plus imposant qui franchit les gorges de l’Ain. D’emblée le cycliste qui remonte celles-ci depuis le bourg fortifié de Poncin en aval jusqu’à la retenue de Vouglans, à cinquante kilomètres en amont reconnaît un paysage qui a été qualifié comme tel par la géographie de Vidal de La Blache : une gorge  « vallée étroite en encaissée  » nous dit le trésor de la langue française. On rencontre donc le viaduc, dix huit  kilomètres après Poncin, soit à peu près une heure de parcours après s’être insinué dans  ces gorges, couvertes de bois avec quelques replats propres à la culture, ponctuées par quelques rares implantations humaines. Dès Poncin, avec l’impressionnant viaduc construit pour l’autoroute A 40 entre Bourg et Genève, puis avec le viaduc de Serrières qui permet le franchissement de la route Bourg-Nantua,  on ressent l’impression de deux territoires superposés : un fond de vallée resté rural  survolé par ces axes de circulation à grande vitesse qui relient des villes qui, pour être plus ou moins proches, sont pour autant extérieures à ce cheminement. Au cours de celui-ci, et un peu plus loin  le viaduc de Cize-Bolozon apparaît au fond comme chargé d’une autre présence.

 

Viaduc de Cize-Bolozon (Ain). crédit photo François Portet

 

Son implantation sur une grande boucle de la rivière offre une vue paisible sur la vallée. Son architecture à deux niveaux : onze arches en plein cintre pour le niveau ferroviaire et six arches pour la route, suggère en quelque sorte un passage à plusieurs vitesses entre la route en partie basse et la voie ferrée, là-haut qui supporte un trafic régional et, depuis quelques années, le passage de rames de TGV pour la liaison vers la Suisse et Genève. Wikipedia nous apprend que les ingénieurs qui sont intervenus dans  l’histoire mouvementée de cet ouvrage d’art ont décidé à deux reprises de sa reconstruction et de son réaménagement sans modifier profondément son aspect et sa structure : d’abord après son dynamitage par le maquis lors de la Seconde Guerre mondiale, puis lors de son adaptation pour la circulation des TGV.  En amont de la dernière pile du viaduc se sont installés deux établissements presque improbables en ces lieux si peu peuplés: un club privé, fréquenté il y a peu par la scène alternative régionale, et un bar qui entretient activement la mémoire de l’édifice notamment par un album qui raconte un accident survenu lors du long chantier d’aménagement de la voie pour le TGV.

 

Viaducs de Morez (Jura) carte postale ancienne, fonds François Portet

 

Pour paraphraser enfin le titre d’un ouvrage de la collection Ethnologie de la France, « Les monuments sont habités », on peut dire ici que ces ouvrages d’art,  comme des buttes témoins des grands travaux ferroviaires sont aujourd’hui « habités » Ils sont en effet  à la fois vus  comme des éléments naturellement toujours là, comme des sites pittoresques,  mais  ils condensent aussi pour  ceux qui les fréquentent une mémoire des évènements qui sont ancrés dans ces lieux

 Pour aller plus loin :

http://patrimoine.bourgognefranchecomte.fr : inventaire comportant une notice historique sur la ligne ferroviaire Champagnole-Tancua.

Desmichel Pascal, « Le patrimoine ferroviaire bâti en Limousin rural. Les leçons d’un inventaire général des bâtiments voyageurs », Histoire & Sociétés Rurales, 1/2012 (Vol. 37), p. 149-171.

http://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2012-1-page-149.htm

Daniel Fabre, Anna Iuso (dir.), Les monuments sont habités, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2010.